L’abeille maçonne arrive par la poste

Erich Goetschi

22. mars 2019 11:05 Dernière modification: 22. mars 2019 14:03

Une start-up zurichoise s’est mise en mouvement pour ranimer nos jardins de mille bourdonnements. L’expédition de colonies destinées à des «Airbnb pour abeilles» bat son plein et devrait permettre une meilleure pollinisation en Suisse. Une initiative à laquelle la Poste apporte un solide soutien.

En ce moment, les facteurs distribuent des envois d’une valeur toute particulière. Depuis début mars, et jusqu’à fin mai, ils livrent dans tout le pays des cocons d’abeilles maçonnes soigneusement empaquetés, et ce au prix d’une lettre Courrier A. Les destinataires? Des particuliers offrant une sorte d’Airbnb pour abeilles doté de dispositifs artificiels d’aide à la nidification. Le but? Contribuer à redensifier la population d’abeilles sur notre territoire. Des études scientifiques le prouvent: la mortalité des abeilles va croissant dans le monde et la moitié des espèces d’insectes est menacée de disparation imminente. Pour contrer la tendance, l’entreprise zurichoise Wildbiene + Partner, une spin-off de l’EPF, a trouvé une solution originale: elle propose depuis six ans des parrainages d’abeilles. Certes, c’est là un tout petit pas sur le long chemin qui mène à une société meilleure, «mais il est important», déclare son fondateur, le biologiste Claudio Sedivy.

 

La Poste met à disposition son savoir-faire
Dans cette belle aventure, la Poste joue aussi un rôle de premier ordre. Quel que soit le lieu de résidence des parrains, il faut que les abeilles arrivent à destination dans les 24 heures suivant l’expédition. Assumant cette haute responsabilité, la Poste fait valoir ses points forts sur le dernier kilomètre: prestataire fiable et rapide, elle livre les cocons en temps et en heure à leurs destinataires, allant même jusqu’à utiliser un code à barres spécial afin de prévenir tout retard intempestif. «La Poste apporte une précieuse contribution à cette bonne cause», confirme Thomas Steiner, conseiller à la clientèle chez Wildbiene + Partner. Une bonne cause qui suscite un vif engouement, comme en témoignent les quelque 34 000 colis distribués par la Poste en 2018, soit presque deux fois plus que deux années précédentes.

Les abeilles sauvages: humbles travailleuses
Quand elles sont livrées par le facteur dans leur petit tube en carton, les abeilles sont encore plongées dans un profond sommeil dont elles sortent rapidement une fois à destination. Installées dans un lieu sec et ensoleillé, elles sortent de leur cocon en l’espace de quelques jours puis vaquent sans relâche à leurs nobles occupations pendant leurs deux mois d’existence. Autre qualité appréciable: les abeilles maçonnes sont réputées beaucoup plus efficaces que les abeilles mellifères et, ni les basses températures, ni les intempéries ne les découragent. De plus, elles ne piquent pas et ne sont pas attirées par les douceurs ou les restes de nourriture. Quand les femelles ont déposé leur progéniture et bouché les petits tubes, c’est de nouveau à la Poste de jouer. L’automne venu, le boîtier intérieur de l’hôtel à abeilles et sa nouvelle génération d’insectes peut être renvoyé facilement et à peu de frais à Wildbiene + Partner pour les soins hivernaux. Et la boucle est ainsi bouclée. Le printemps d’après, les nouvelles populations d’abeilles maçonnes s’en iront bourdonner autour des arbres fruitiers des fermes suisses et amélioreront ainsi le taux de pollinisation dans leurs environs, tandis que les clients recevront une nouvelle population de départ.

Un biologiste qui espère faire des émules
Tout est bien qui finit bien? Presque, car des voix s’élèvent pour critiquer le modèle commercial de l’hôtel à insectes, doutant de l’utilité des dispositifs artificiels d’aide à la nidification ainsi que de la valeur pédagogique de la démarche, et réclamant des recherches plus poussées sur le sujet en pointant le risque lié aux installations postales de tri automatique du courrier. Wildbiene + Partner balaie ces objections en précisant que les abeilles maçonnes jouissent d’une protection optimale dans leur robuste cocon. «Nous occupant des abeilles sauvages depuis des années, nous sommes bien placés pour savoir qu’elles se portent à merveille et ne cessent de se multiplier», déclare-t-on au sein de l’entreprise, qui souligne par ailleurs que les nids artificiels offrent aux abeilles d’aussi bonnes conditions que s’ils étaient naturels. Et qu’en est-il de l’effet pédagogique? Pour le biologiste Claudio Sedivy, on ne protège bien que ce que l’on connaît. Dans le meilleur des cas, les gens auront aussi envie de prendre d’autres mesures de préservation de l’espèce, par exemple en plantant des fleurs sauvages indigènes. D’ailleurs, les spécialistes des abeilles sauvages viennent de lancer «BeeSnack Diversity», le premier assortiment de plantes sauvages suisses, également livrables à domicile, par courrier. Voilà aussi de quoi réjouir la Poste, qui ne peut que souhaiter que ses facteurs continuent d’essaimer encore longtemps au profit des abeilles.

Insecte de l’année 2019
Le saviez-vous? L’abeille sauvage solitaire ou osmie rousse (Osmia bicornis) a été désignée insecte de l’année 2019 – un choix qui n’est pas le pur fruit du hasard. Comptant en son sein des experts autrichiens, allemands et suisses, le comité chargé des nominations a souhaité sensibiliser l’opinion publique à la menace qui pèse sur de nombreuses variétés d’abeilles sauvages, jouant un rôle crucial dans le processus de pollinisation si important pour notre alimentation. En Europe centrale, on dénombre plus de 700 espèces d’abeilles sauvages, pollinisatrices irremplaçables dans un écosystème sain et productif.